Et voilà, comme indiqué dans le billet précédent, la...
Transcription de l’émission Six et demi du mardi 16 février
2016, sur Via Stella (enregistrée le 5 février 2016)
Philippe Martinetti : Lecteur, blogueur, écrivain,
François-Xavier Renucci est l’invité de 6 et demi.
PM : Bonsoir, FXR, merci d’avoir accepté notre
invitation.
FXR : Bonsoir. Merci, Philippe.
PM : La littérature, est-ce pour vous une impérieuse
nécessité ?
FXR : Oui… et dans plusieurs sens et d’abord la
lecture, la lecture de la littérature. Et puis après, nécessité d’écrire, pas
forcément très vite ni de façon impérative mais durable oui, et au fur et à
mesure, eh bien… le livre.
PM : De la lecture est né ce désir d’écrire ?
C’est ainsi que vous avez construit votre cheminement d’écrivain ?
FXR : Ah oui, oui. C’est à la fois la lecture et Ajaccio
et le golfe d’Ajaccio. C’est-à-dire que ces deux objets-là, les livres que
j’achetais dans les années 80 à la librairie La Marge et le golfe, ce lieu-là
que je faisais ressembler à d’autres lieux qui sont dans les livres que
j’achetais, et puis aussi comme un lieu d’inspiration.
PM : Alors aujourd’hui, vous publiez aux éditions
Albiana, « La toile souveraine. Pour un Saint-Exupéry ». Alors il
s’agit d’une histoire d’amour, une histoire d’amitié, une enquête littéraire
sur un poème, faussement ou pas, le lecteur se fera un avis, à Saint-Exupéry,
une « Ode à la Corse »… Comment est né en vous ce roman ?
FXR : Il y a deux sources principales. L’histoire
d’amour est très ancienne, cela faisait très longtemps que je voulais écrire ce
genre d’histoire. Par goût et aussi et parce qu’il me semble que cela manquait,
cela manque de moins en moins maintenant à la littérature corse, qu’on puisse
simplement détailler ce qu’est une histoire d’amour. Et je voulais la situer à
Ajaccio, je voulais qu’elle soit semi-clandestine, je voulais tout ça, et puis
l’histoire d’amitié s’est greffée dessus, avec ce prétexte de ce poème de
Saint-Exupéry ou qui est attribué depuis au moins une cinquantaine d’années à
Antoine de Saint-Exupéry, une soi-disant « Ode à la Corse » qui pose de
gros problèmes…
PM : C’est là la trame de votre roman… D’ailleurs, pour
être honnête avec vous, FXR, je me suis demandé au bout de combien de secondes
de cette émission vous alliez utiliser l’expression « littérature
corse » (rires). Donc ça a été fait assez rapidement.
FXR : (rires) Ah oui, ce n’était pas l’objet d’un pari
avec quiconque (rires), mais bon c’est vrai que c’est une obsession.
PM : Pour revenir à votre ouvrage, « La toile
souveraine », ce qui est intéressant et qui peut-être, honnêtement, déroutant
pour le lecteur, c’est la structure narrative du livre. Il y a plein d’idées,
il y a des moments où il y a des cours, il y a un enchevêtrement de voix, il y
a ces petites parenthèses numériques, on sent bien qu’il y a l’idée du blog
aussi derrière tout cela. C’est une structure qui s’est construire au fil de la
plume ou vous aviez déjà cette idée-là avant même de l’écrire ?
FXR : Je pense que je ne suis pas capable d’écrire un
roman, une narration traditionnelle, et j’ai le goût aussi des autres arts, et
ça reste un goût virtuel. Donc, quoi de mieux que le roman pour faire rentrer
ces différentes formes ? Donc, il y a du théâtre avec le dialogue, , il y
a de l’image avec les DVD de la
troisième partie, et puis cette espèce de parole qui est aussi celle du
conférencier, du professeur, du type un peu fou qui veut parler à tout prix, et
qui cherche des oreilles. Je voulais mêler ces différentes formes-là et c’est
vrai que ça n’a pas été facile, ça n’a pas été simple d’abandonner la narration
traditionnelle pour passer à cette structure-là, à cette composition en trois
parties qui sont en fait trois tentatives du personnage principal.
PM : Avec l’idée de l’enquête, peut-être même d’une quête finalement... et quand on parle de Saint-Exupéry, cela va de soi ?
FXR : Ce qui m’a intéressé, au-delà de l'enquête, qui est un prétexte, (sur l’attribution vraie ou fausse de ce poème à
St-Ex), ce que je voulais au fond c’est que l’objet de cette quête change au
fur et à mesure, et qu’il recule un peu comme l’horizon.
PM : Ces mots d’Emmanuelle Caminade sur le blog,
l’excellent blog que nous recommandons à tous les téléspectateurs de 6 et demi,
« L’or des livres » : « FXR nous parle ainsi de liberté et
de communication, d’analyse critique et de jugement esthétique, de vérité,
d’illusion ou de mensonge, comme du rôle de l’amour et de la littérature (et
autres arts) dans nos vies (…) ». Quelle est la part de votre intime, FXR,
dans cet ouvrage ?
FXR : Ah ben… elle est très importante. Oui, bien sûr.
Elle est très importante. J’ai croisé ce matin un ancien copain du lycée
Fesch ! Et donc, il a vu tous les éléments qu’on partage de cette
période-là, des années 80 au lycée Fesch avec un certain nombre d’enseignants.
Donc, il y a énormément de part intime, complètement trafiquée, complètement
fantasmée…
PM : Oui, le jeu littéraire…
FXR : Absolument, donc il y a beaucoup de choses qui
sont mêlées. Mais il fallait que j’arrive à ce personnage de Jacques Casanova
pour arriver à écrire l’ensemble du livre, c’est-à-dire qu’il fallait qu’il
soit à la fois très éloigné de moi et totalement… totalement ressemblant.
PM : « La toile souveraine. Pour un
Saint-Exupéry », FXR, aux éditions Albiana. C’est recommandé par toute
l’équipe de 6 et demi, particulièrement, pour être très honnête avec vous, par
Sébastien Pisani qui a énormément aimé l’ouvrage et qui en a même parlé dans
cette émission… Je vais vous demander de réagir à deux images, FXR… la première
qui va arriver (photo de Saint-Ex dans le cockpit de son avion)…
FXR : Oui, bien sûr. Donc Antoine de Saint-Exupéry.
C’est vrai que c’est un auteur qui est très important pour moi, depuis
longtemps, parce qu’il a une sorte de présence dans mon histoire familiale, par
son écriture, et notamment par son dernier ouvrage, « Citadelle »,
infini, toujours retravaillé, qu’il avait travaillé lui-même en le déclarant
posthume, donc qu’il n’aurait jamais fini et que j’ai vraiment beaucoup,
beaucoup aimé et lu et repris à travers un motif bien particulier qui est celui
de la « toile souveraine », ces draps qui sont censés guérir et apaiser
les blessures.
PM : Il y a évidemment l’ombre de Saint-Ex qui est là,
au-dessus du livre, qui plane au-dessus de votre écriture et justement, FXR,
finalement votre ouvrage n’est-ce pas un livre sur l’écriture, sur le processus
d’écriture ?
FXR : Euh, c’est possible, mais alors le processus
d’écriture en tant que moyen d’établir une relation, voilà, pour moi ça c’est
très important. Je n’ai pas de… pour moi la littérature n’est pas une idole,
qui serait au-dessus de quelque chose, qui serait au-dessus de nos vies. C’est
un élément de nos vies, et il est bon qu’on l’échange et qu’on voit un petit
peu ce qu’on en fait, chacun, vous et moi, et donc voilà, il y a un amour
énorme pour l’objet littéraire… si tant est qu’on puisse l’avaler, le digérer,
en faire quelque chose…
PM : Le malmener ?
FXR : Le malmener, absolument, moi je n’ai aucun
problème pour ça. Donc triturer les textes comme je le fais avec le poème en
lui donnant différentes intentions, différents auteurs, c’est quelque chose de
très important pour moi. Je veux dire, je ne veux pas qu’il y ait une sorte de
communion unanime dans la célébration d’un texte qui dirait le tout de tout,
voilà, ça ça ne me convient pas.
PM : Deuxième image… Chagall… « Le Cantique des
cantiques »...
FXR : Donc, Chagall. Mais oui, mais oui, parce que le
« Cantique des cantiques » est un texte qui fait pendant à
« L’ode à la Corse » dans le roman, un texte érotique, au cœur de la
Bible, très mystérieux, que fait-il là ?, mais en même temps complètement
intégré au rituel religieux, qu’il soit juif ou chrétien, et qui a donné lieu à
une multiplicité d’illustrations, de travaux, d’exégèses, c’est faramineux les
interprétations qui ont pu être faites au cours des siècles de ce texte. Bon,
j’aime beaucoup Chagall, donc ça me plaît particulièrement, maintenant je
trouve que c’est aussi un texte qui… qui échappe à l’image, voilà… qui échappe
à l’image.
PM : C’est curieux, quoique, que vous me disiez cela
parce que c’est exactement ce qu’on peut ressentir à la lecture de votre
ouvrage. Il y a cette dimension-là de multi-interprétation, vous y jouez
d’ailleurs à travers le texte attribué à Saint-Ex, comme pour Chagall sur cette
idée de multi-interprétation, et ça échappe, presque, au lecteur. On y est, on
est avec vous, je l’ai dit, au départ on peut être un petit peu dérouté, mais
quand on se laisse prendre au jeu, on est là, on suit la trame, on suit
l’histoire, on suit cette quête justement… mais il y a comme cette forme de
distance.
FXR : Oui, je veux que ça échappe. Je veux que le
personnage… En fait c’est une histoire d’amitié déchirée…
PM : Oui.
FXR : Donc, l’intrigue est simple, c’est
« vont-ils se retrouver » ? Une amitié fusionnelle, essentielle.
Vont-ils se retrouver, c’est la question. Et je pense qu’on peut donner
plusieurs réponses à cette question, une fois qu’on a fini l’ouvrage, voilà.
PM : Oui, une multitude de réponses, « La toile
souveraine. Pour un Saint-Exupéry », FXR, aux éditions Albiana. C’est le
moment d’accueillir notre libraire du soir, Marcel Petriccioli.
(Présentation de la BD érotique de Zep et Vince,
« Esméra »)
PM : Revenons, avant d’accueillir Vannina Van Schirin,
qui va nous évoquer justement le Cantique des cantiques, notamment, revenons à
votre ouvrage. La dernière partie de l’ouvrage, cette dimension de la folie est
abordée. Est-ce qu’il faut être fou, ou en tout cas est-ce que l’écriture
participe à une certaine folie ?
FXR : Oui, moi ce qui m’intéressait c’est la figure de
l’extravagant. Donc est-il fou ? Peut-être, puisqu’il fait quelques
passages par un hôpital psychiatrique bien connu des Ajacciens…
PM : Ce n’est pas forcément cette folie…
FXR : Oui, voilà, c’est la folie douce, c’est
l’extravagant, voilà. Et j’aime bien dans l’île, dans la culture corse, les
figures d’extravagant, qui ne rentrent pas dans les cases, qui n’essaient pas
de correspondre forcément à un schéma préétabli, qu’il soit identitaire ou
social. Et puis ils ont une charge humoristique, ils ont une charge comique. Il
y a une certaine tendresse aussi qu’on peut avoir pour l’extravagance, quand
elle n’est pas agressive. Et c’est ça qui me plaisait et j’ai essayé de faire
en sorte que les trois parties soient de plus en plus extravagantes. Qu’il y
ait un plaisir un petit peu à se laisser emporter… Bon ça c’est la liberté du
roman.
PM : Il faut être fou pour écrire, ou pas ?
FXR : Non. Je n’espère pas. (rires)
PM : (rires) C’est le moment de parler art, avec Vannina
Van Schirin.
(Présentation de Frantisek Kupka et de son travail de
peintre sur le Cantique des cantiques)
VVS : Dans votre livre, « La toile
souveraine », le personnage (Benjamin) conte le Cantique des cantiques à
son amante, et Kupka, c’est exactement ce qu’il a fait ! Qu’est-ce que ça
vous inspire ?
FXR : Il faut que je me plonge dans cette histoire,
parce que ça m’intéresse énormément, mais effectivement dans le roman aussi,
c’est un personnage, Benjamin, qui trouve dans sa compagne… son correspondant…
et puis il y a un intermédiaire entre les deux, est-ce que ça fonctionne ou
pas… voilà.
PM : C’est le moment de notre questionnaire 6 et demi.
PM et FXR (rires)
PM : Quelle est votre passion honteuse ?
FXR : Alors, passion honteuse. C’est Facebook, il faut
que j’arrête. Oui, parce que je perds du temps, parfois je discute avec des
gens, je me dis non c’est pas possible. C’est dans le vide, quoi… Il y a des
tas de choses super intéressantes, vraiment des fois je prends connaissance de
choses que je ne connaissais pas et qui me donnent vraiment beaucoup d’idées et
puis par ailleurs il y a des discussions sans fin. On voit bien que ça n’opère
pas en fait sur l’aspect de la discussion. L’information, la transmission
d’informations, ok, mais sur la discussion, c’est très difficile.
PM : Parce que ça dérive très vite en exutoire ?
FXR : Oui, et puis c’est très difficile parce qu’on se
fait bloquer… parce que tout d’un coup on est en désaccord. Pour moi, ça signe
pour l’instant l’échec de la discussion sur le désaccord. Et je trouve ça
vraiment dommage, parce qu’on a besoin de ça.
PM : Que trouve-t-on actuellement sur votre table de
nuit ?
FXR : Il y a deux livres qui me passionnent. C’est
« 22/11/63 » de Stephen King que j’ai trouvé génial. Ça m’a passionné
cette histoire de retour dans le temps, il laisse de côté tout l’aspect
imaginaire du voyage dans le temps, c’est vraiment très humain, très charnel…
PM : Et une belle peinture, pardon, des années
soixante…
FXR : Absolument. Un grand amour pour les Etats-Unis,
pour la vie et puis c’est très très fort, et puis il y a la danse aussi,
« la danse c’est la vie » à un moment donné, il dit. Et l’autre
ouvrage c’est celui de Paulu Desanti, « Va è fatti leghja », son
premier roman. Je trouve ça très très drôle, ça se passe à Ajaccio en plus,
j’ai trouvé des liens avec l’imaginaire de mon propre roman. J’adore son côté
anarchisant, voilà, comment regarder la vie à Ajaccio de façon un peu
anarchisante, ce n’est pas l’idée principale qu’on a de cette ville.
PM : Bon conseil, pour nos téléspectateurs. En quoi
excellez-vous ?
FXR : Mon épouse me dit : parler pour ne rien dire
(rires). Et je pense qu’elle a rai…
PM : Qu’elle a raison ? (rires)
FXR : Non, mais moi j’essaie de le tourner de façon
positive. Parler pour parler, parler pour tout dire. J’adore ça, voilà.
PM : Votre mot préféré ?
FXR : Ben c’est un mot qui vient des années 80, d’une
chanson des Muvrini, j’écoutais ça avec émotion et ça a été repris, c’est le
dernier mot de Gilles Simeoni dans son discours d’investiture, c’est
« demucrazia ». Franchement, ça fait du bien, voilà, c’est un mot qui
donne de l’âme et qui donne de la force.
PM : Celui que vous détestez ?
FXR : Ce que je déteste moi, c’est le silence. Encore
que il y a des silences qui sont vraiment de bon augure, qui disent beaucoup de
choses. Alors c’est plutôt le « mutisme ».
PM : En plus c’est un mot dur…
FXR : Voilà, je n’aime pas ça du tout, du tout.
PM : Votre héros de fiction ?
FXR : Le dernier héros, parce qu’il y en a plusieurs en
fait, le dernier héros, celui qui m’a vraiment transporté avec lui, c’est
lorsque Cooper dans « Interstellar » s’éjecte dans le trou noir.
Alors là, ça, j’ai dit chapeau.
PM : Vous avez aimé « Interstellar » ?
Il y a un grand débat sur « Interstellar », y compris dans cette
émission !
FXR : Oui, je sais. Moi j’ai adoré parce que je me dis,
voilà, c’est le cinéma qui peut nous donner ça, moi je suis tombé dans le trou
noir avec lui, je ne dis sur ce qu’il y a dans le trou noir pour ceux qui ne
l’ont pas vu ! Fabuleux.
PM : Et enfin, votre héros dans la vie réelle ?
FXR : Alors, je pense qu’il y a un certain héroïsme
pour pas mal d’artistes quand ils veulent vraiment poursuivre une œuvre et
parmi ces artistes il y en a un que j’adore, c’est Malcolm Lowry qui est
l’auteur de poèmes, de nouvelles, de romans et notamment donc de « Sous le
volcan » qui est un roman que j’adore.
PM : Il nous reste juste quelques secondes. Est-ce que
le prochain livre est presque là ?
FXR : Presque ? Pas tout de suite. Mais ce
livre-là a débloqué six ou sept livres qui arriveront dans les décennies à
venir.
PM : Autant que ça ?! (rires)
FXR : Oui. Absolument.
PM : Il a fallu… C’est Saint-Ex !
FXR : Voilà. Je pense. Une bonne étoile !